Ce n’est pas parce que leurs pères ont été des bourreaux, qui’ils le sont
Jacqueline Gicquel, fille de Pierre Gicquel qui est décédé le 22 février 1945 à Watenstedt, parle des effets de l’absence de son père qu’elle n’eut pas la chance de connaître. Elle éspère que les descendants de bourreaux essaient de éviter que l’histoire ne se reproduise.Voici ses réponses aux questions visant à enrichir les principaux thèmes de discussion de l’atelier „Dialogue entre familles d’anciens détenus et familles d’anciens bourreaux nazis“ du Forum „L’avenir de la mémoire“ au Mémorial de Neuengamme le 6 mai 2015..
Comment avez-vous été informé du parcours de votre père?
On n’en parlait pas dans la famille. Il y avait juste un nom compliqué sur une plaque dans le cimetière : « Mort à Watenstedt ». Peu de temps avant ma retraite, je lis dans la presse locale qu’il y avait eu à St Malo un congrès de déportés. Je m’informe et fais la connaissance de Léa Le Pen qui me fait connaître plusieurs associations de déportés etl’Amicale de Neuengamme. Je vais en pèlerinage et adhère.
Dans quelle mesure avez-vous pu surmonter les conséquences des actes de « nos » pères ?
Même si on n’en parlait pas beaucoup dans la famille, je ressentais que c’était « quelqu’un de bien » et quand on me disait que je lui ressemblais, j’étais très fière. C’était une référence et je voulais être digne de lui. Du fait que je ne l’ai pas connu, j’avais quelques semaines lors de son arrestation, je n’ai pas ressenti une perte. Comme son corps a été rapatrié, il y avait un lieu où je pouvais le « retrouver ». C’est sans doute à l’adolescence que sa présence m’a le plus manquée. Je n’avais pas une présence forte près de moi, un « pilier » Je me suis forgée, comme ma sœur, inconsciemment, une forte personnalité et nous sommes des personnes engagées.
Que transmettrez-vous à vos enfants?
La transmission est très difficile pour plusieurs raisons : familiales (belle-famille pétainiste, divorce,….) enfant non demandeurs et même un certain rejet. Je le fais par petites touches mais ce n’est pas acquis. Par contre cela me semble plus facile avec les petits enfants.
Qu’attendez-vous, que craignez-vous d’un dialogue entre des descendants de victimes et des descendants de bourreaux?
Je ne crains pas le dialogue avec les descendants de bourreaux car s’ils sont là, c’est qu’ils n’adhèrent pas aux idées de leurs pères. Je pense qu’ils doivent être en grande souffrance. Ils ont sans doute eu une jeunesse heureuse avec un père présent et aimant mais à la découverte du passé de leurs pères ! Souvent, ils se sentent responsables mais ne le sont pas. Ce n’est pas parce que leurs pères ont été des bourreaux, qu’ils le sont, Nos pères ont été des héros, ce n’est pas pour cela que nous le sommes. Tout cela ne se transmet pas génétiquement. Qu’ils ne culpabilisent pas. Ils ne pourront pas effacer ce qu’ont fait leurs pères mais qu’ils essaient de dépasser leurs histoires familiales en s’engageant à faire connaître ce qui s’est passé, pourquoi cela a pu se faire et comment éviter que cela ne se reproduise.