Une douleur restée vive
80 ans après le coup d’état du général Franco qui avait déclenché une guerre civile sans pitié entre adversaires et adhérents de la République, la société espagnole actuelle est loin d’un consensus face à la mémoire des victimes du franquisme et à l’ attitude envers les acteurs et les partisans du régime. Normalement ce conflit reste caché au-dessous de la surface de la vie quotidienne, mais chaque démarche dans le sens d’une confrontation progressive provoque toujours de nouveaux éclats et des hostilités politiques.
Douleur et haine se transmettent aux générations suivantes
En janvier 1939, par un froid implacable, les troupes du général Franco conquirent Barcelone. Les partisans de la République espagnole et de son gouvernement légitime y avaient concentré leur dernières ressources contre les putschistes.
La défaite militaire mit en marche un exode de masse: environ 450.000 Républicains – soldats, vieillards, femmes, enfants – s’exilèrent, la plupart à pied, en traversant les Pyrénées enneigées. Plus de la moitié choisirent de s’installer en France, car Franco, le “Caudillo”, exerça une vengeance sanglante sur ses opposants et établit une dictature qui allait se terminer seulement 36 ans plus tard, après sa mort.

Barbara Brix avec Jordi Font, le directeur du Musée Mémorial de l’Exil à La Jonquère/Catalogne, et un groupe du Cercle d‘ amis du Mémorial de l‘ ancien Camp de concentration de Neuengamme/Hamburg.© Barbara Hartje.
Pendant mon bénévolat d’une année organisé par l’ association allemande ASF (Action Signe de Réconciliation Services pour la Paix) au Mémorial du Camp de Rivesaltes (Pyrénées Orientales) et un stage au Memorial Democràtic à Barcelone, j’ ai rencontré, des 2 côtés de la frontière, beaucoup de personnes, anciens réfugiés, qui avaient conservé les blessures et la haine irréconciliable de la Guerre Civile espagnole et très souvent même transmises à leurs enfants et petits-enfants.
Ces difficultés de commémoration, officielle autant que privée, chez leurs voisins espagnols, ont été abordées dans un article de “L’Indépendant”, le quotidien des Pyrénées Orientales, en février 2016 présentant un exemple actuel. Le gouvernement socialiste sous Zapatero avait, il est vrai, enfin voté, au parlement, en 2007 la “Ley de la Memoria Histórica” (la Loi de mémoire historique) contre les députés du parti de droite, le Partido Popular. Mais son application se faisait beaucoup attendre.
30 nouveaux noms de rues à Madrid
En décembre dernier, la nouvelle majorité “indignée” et sa dirigeante Manuela Carmena avaient entrepris d’ ordonner le changement des noms de 30 rues qui rappelaient le régime de Franco, dont la place Salvadore Dalí. L’ artiste était un admirateur du dictateur et avait reçu, des mains de celui-ci, l’une des plus importantes distinctions de l’Etat espagnol. “Madrid veut effacer toutes les traces du franquisme” telleest la manchette de L’Indépendant du 26 février. Mais l’ initiative de la maire “indignée” et de sa majorité a suscité la colère de la droite, mais aussi la critique du groupe socialiste au conseil municipal, ce dernier trouvant trop radicale la démarche de la maire. La Loi de mémoire historique des socialistes reflète dans son ambiguité la division de la société espagnole depuis la confrontation guerrière des deux camps, les adhérents de la République et ceux de Franco, après le coup d’ état de 1936.

Barbara Brix discutant avec un historien du Memorial Democràtic/Barcelone pendant une excursion au Montjuic où Lluis Companys, président de la Genaralitat de Catalunya, a été assassiné par les franquistes en 1940.© Barbara Hartje
1975 – un arrangement ambigu
Ce conflit très profondément ancré dure toujours et divise les familles ainsi que la société et les partis politiques. La répression du régime franquiste, sa politique mémorielle partiale et le moratoire au moment de la transition vers la démocratie ont empêché un vrai travail de mémoire et encore davantage un rapprochement des camps opposés. Bien au contraire! La mairie de Madrid a provoqué “les foudres de l’opposition de droite quand elle a éliminé – début février – plusieurs monuments à la mémoire des victimes franquistes” et une plaque en souvenir de huit religieux tués par des républicains en 1936.
“Les talibans de la mairie”
Un site internet qui se consacre à veiller à “l’ honneur du Caudillo” ( et dont L’ Indépendant ne révèle malheureusement pas la source) dénonce même “les talibans de la mairie”. Les conseillers avaient chargé quelques chercheurs de l’ université Complutense de dresser une liste des noms de rues qui devaient disparaître. Mais quand le journal El País a listé peu après 256 rues concernées, les chercheurs se sont distanciés indignés et “ont rompu avec la mairie” estimant que la liste de El País “contenait des noms de personnages de renommée universelle qui ne méritaient pas ce traitement.” Il paraît que pour cette fois Dalí a pu échapper au milieu de tant de confusion et de porcelaine cassée.