
© Privé Alfons Matthys
Depuis des années, je m’intéresse à l’histoire de ma famille et dans ce contexte, j’ai fait pendant des heures des recherches dans différentes archives et ai étudié toutes sortes de documents et de photos. Et tout naturellement, mon père Jules est devenu un des sujets de mes recherches. Pendant la guerre, mon père travaillait à Gand pour une société belge, l’OIP (Société Belge d’Optique et d’Instruments de Précision) qui fabriquait des appareils optiques pour l’armée belge. En mai 1944, l’entreprise a été « occupée » par la société Heyde Werke de Brême en Allemagne. C’est sans doute la raison pour laquelle il a rejoint un groupe de résistance qui s’était formé au sein de l’OIP « Verzetsgroep Bedrijfsmilitie, Patriottische Militie, Vaderlandse Milities aangesloten bij het Onafhankelijkheidsfront (O.F.) ». Ce groupe comprenait 10 collègues de l’entreprise. Ils pratiquaient des actes de sabotage ou ralentissaient la production des appareils optiques destinés à l’aviation allemande. Le 12 août 1944, mon père a été arrêté dans les locaux de l’OIP en même temps que sept collègues (apparemment deux pouvaient s’enfuir) par la Geheime Feldpolizei et incarcéré dans la prison de Nieuwewandeling à Gand. Plus tard, nous avons appris que tous les prisonniers avaient été transférés à Anvers et ensuite en train en Allemagne. Des voisins auraient vu mon père dans un des camions qui en route vers Anvers par la N70 seraient passés à seulement 100 mètres de notre maison. C’était la dernière nouvelle que nous avons reçu au sujet de mon père.
Pendant son incarcération à la prison de Nieuwewandeling à Gand, mon père partageait sa cellule avec le directeur du lycée de Melle. Cet homme, le père Stanislas, a fait passer à ma mère par un ancien élève un message manuscrit de mon père. Le père avait réussi à le sortir de prison en douce. Ce « petit morceau de papier » vaut pour moi son pesant d’or !

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Les recherches se poursuivent
Des années plus tard, j’ai repris mon travail de recherche à partir des archives que j’avais déjà constituées concernant mon père Jules. Heureusement, ma mère avait conservé toutes les années qui ont suivi la mort de mon père deux cartons de documents, de photos etc.
Fin 2007, j’ai contacté les archives du Mémorial du camp de concentration de Neuengamme. J’ai demandé s’ils pouvaient me dire où mon père était enterré. Le 11.1.2008, j’ai reçu un email m’informant que mon père était enterré « dans une fosse collective dans le cimetière Vorwerker Friedhof à Lübeck ». Les archives du Mémorial du camp de Neuengamme ont contacté le Stadtarchiv Lübeck (archives de la ville de Lübeck) et en mars 2008, un deuxième email des archives du Mémorial du camp de Neuengamme m’est parvenu selon lequel mon père « avait été enterré le 28.04.1945 dans la fosse collective 27a-5-D dans le cimetière Vorwerker Friedhof à Lübeck ».
En novembre 2009, j’ai pris contact avec le ITS (International Tracing Service) à Bad Arolsen en Allemagne, voulant savoir s’ils avaient davantage d’informations concernant mon père et s’ils connaissaient le lieu où il pouvait être enterré. Il ressort de la réponse qu’ils ne disposaient pas d’autres informations, seulement la mention « unknown male identification » et la confirmation que mon père avait le matricule de détenu 44935. En outre, il est aussi mentionné que ce matricule lui avait été attribué le 2 et le 3 septembre.
En poursuivant mes recherches, je suis entré en contact avec l’association des détenus politiques, la NCPGR (Nationale Confederatie van Politieke Gevangenen en Rechthebbenden) district Gand-Eeklo. Par le secrétariat du NCPGR, j’ai obtenu des informations intéressantes sur le parcours des huit collègues de travail de la OIP. À savoir, deux des collègues étaient rentrés en Belgique, les autres six sont morts en Allemagne pendant leur captivité. À son retour, l’un des deux survivants avait écrit en détail et précisément quel avait été le parcours des huit camarades. De ce récit, il ressort clairement que mon père avait été détenu du 2 septembre 1944 au 5 septembre 1944 au camp de concentration de Neuengamme à Hambourg.
Le 5 et le 6 septembre 1944, ils étaient transférés en train au camp extérieur de Blumenthal à Brême. Mon père est resté du 6 septembre 1944 au 9 avril 1945 dans ce camp extérieur où il devait travailler à la construction du Bunker Valentin et dans des entreprises toutes proches. Du 9 avril 1945 au 15 avril 1945, les détenus ont dû quitter le camp de Blumenthal et rejoindre à pied le camp central de Neuengamme (marches de la mort). Du 15 au 19 avril 1945, mon père se trouvait donc à nouveau détenu à Neuengamme. Ensuite, ils étaient transférés par train à Lübeck. Cela a duré du 19 au 21 avril 1945. Du 21 au 23 avril 1945, mon père était à bord du « Cap Arcona » dans le port de Lübeck, puis sur le « Athen » dans la mer baltique.

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Le 23 avril 1945, à bord du « Athen », mon père à bout de forces mourait dans les bras de deux de ses collègues encore en vie Alfons De Vlieger et Willy Dekeghel. Les cinq autres collègues étaient déjà morts à Sandbostel, Blumenthal ou dans la baie de Lübeck.

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Plus tard, les deux collègues de travail de retour en Belgique ont signé une déclaration sous serment concernant la mort de mon père. Celle-ci atteste officiellement que mon père est décédé dans leurs bras sur l’« Athen ».
Un peu plus tard, l’un des deux a fait encore une déclaration selon laquelle le corps de mon père avait été « jeté par-dessus bord ».
Finalement, je me pose cette question ouverte : « Qu’est devenu le corps de mon père ? ». Je sais avec certitude que mon père est décédé sur l’« Athen » et a été jeté par-dessus bord. Mais son corps est-il resté dans la mer ou plus tard, après que les alliés ont bombardé les bateaux dans la baie de Lübeck, son corps a-t-il été sorti de l’eau avec les milliers d’autres morts et enterré dans une « fosse collective » dans le cimetière de Vorwerker Friedhof à Lübeck ?
Visite du Mémorial en Allemagne
En mai 2018, ma femme et moi avons participé au pèlerinage annuel à Neuengamme, organisé par la Vriendenkring Neuengamme België. Et nous avons, dans ce cadre, visité le Mémorial du camp de concentration de Neuengamme.

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Le nom de mon père se trouve parmi les milliers de noms de détenus décédées. Grâce à d’autres participants du pèlerinage, qui ont déjà visité la Maison du recueillement, le nom de mon père a été vite trouvé.

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Le Bunker Valentin était l’un des lieux que nous avons visités. Radio Brême était par hasard sur le site et ils nous ont interviewés ma femme et moi. Radio Brême a eu la gentillesse de nous adresser une copie de l’enregistrement.

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Nous nous sommes encore rendus au cimetière Vorwerker Friedhof à Lübeck et avons vu la fosse collective 27a-5-D.

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Et pour finir, nous avons visité le monument sur l’emplacement de l’ancien camp de Blumenthal.
« Stolpersteine » (pierres d’achoppement)
Le 6 mars 2019, à l’initiative du NCPGR du district de Gand-Eeklo, 20 « Stolpersteine » ont été scellées à la mémoire des résistants morts. Six de ces pierres sont consacrées aux camarades disparues de l’OIP. Elles ont été scellées devant le 138 Meerstraat à Gand, l’ancien siège social de l’OIP. L’une est dédiée à mon père.

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Jules Matthys et « les 8 de l’OIP »

© Privé Alfons Matthys
En juin 2019, j’ai publié un livre sur l’histoire de mon père et de de ses collègues. Pour titre, j’ai choisi « Jules Matthys en de 8 van OIP » (Jules Matthys et les 8 de la OIP).
Le livre est disponible dans plusieurs archives et bibliothèques ainsi qu’au Mémorial du camp de concentration de Neuengamme et au Mémorial du bunker Valentin.
Il existe également sur le site internet « Jules Matthys en de 8 van OIP » un lien (en allemand) créé par John Gerardu de Brême.
Traduit par Annick et Christine Eckel