
Pascale Evans est la fille de Pascal Valliccioni, qui a été arrêté et déporté en Allemagne pour son engagement dans la résistance française. Il a survécu à sa captivité et a vécu pour raconter son histoire. Sa fille a répondu à nos questions sur ce que le travail de mémoire signifie pour elle et sur les valeurs qu’elle souhaite transmettre à ses enfants.
Comment avez-vous pris connaissance de l’histoire d’un membre de votre famille persécuté?
Préambule: Mon père, Pascal VALLICCIONI devient Résistant à 16 ans, par devoir, sans aucun engagement politique ni philosophique.
Aux vacances de Pâques en 1943, il se réfugie avec sa mère dans un petit village des Hautes Alpes pour attendre la fin de la guerre. Son Père reste à Marseille pour son travail.
Quelques jours après son arrivée au village, il devient un Combattant de l’Ombre ; agent de liaison et ravitaillement des réfractaires, à savoir des hors-la-loi, car ils avaient refusé de participer au Service de Travail Obligatoire (STO) mis en place depuis février 1943 par le gouvernement de Vichy.
Au début de l’année 1944, il est dénoncé à la Gestapo et « prend » le Maquis, partie dense de la végétation en moyenne montagne, dans laquelle les résistants se sont cachés pour échapper aux Allemands, et organiser la lutte. Quatre mois plus tard, le 5 Avril 1944 ce Maquis FTPF est attaqué par l’armée allemande (deux cents soldats allemands). Il sera fait prisonnier avec 5 autres camarades résistants, à la suite d’une attaque qui durera 5 heures.
Le 1er Septembre 1944 il est déporté au camp de Concentration de NEUENGAMME et sera affecté quelques jours après à WILHELMSHAVEN, Kommando extérieur du Camp de Neuengamme, situé sur la mer du Nord. Il a 17 ans. Il est rentré en France le 5 juillet 1945. Il fait partie des 141 rescapés Français sur les 541 que comptait ce Kommando de 1250 déportés arrivés de Neuengamme.
Enfant, je n’ai pas de souvenir d’un moment précis où j’aurais appris que mon père avait été résistant et déporté. J’ai l’impression de l’avoir toujours su. Quand, au lycée, j’ai dû faire un exposé sur la seconde guerre mondiale, je lui ai naturellement posé des questions. Mais il a préféré rédiger un témoignage qu’il m’a chargé de lire devant la classe, à la suite de l’exposé.
Son témoignage se terminait par un plaidoyer en faveur de l’Humanisme, du respect des autres, de la réconciliation. J’en garde encore une émotion très vive.
Mon père a toujours répondu aux questions que nous luis posions. Mais il ne prenait jamais l’initiative de parler de sa déportation.
Tout ce que j’ai appris dans mon enfance s’est fait indirectement, par la lecture d’interviews ou d’article sur lui, de livre sur les camps de concentration, d’échanges avec ma mère à la suite de reportages sur les camps de concentration.
Par la suite, je l’ai accompagné dans plusieurs rassemblements et pèlerinages. J’ai alors fait la connaissance de ses camarades déportés, et c’est en les écoutant parler entre eux que j’ai réellement appris et pris la mesure des horreurs de la déportation. C’est la également que j’ai pris conscience des enjeux du travail de mémoire que les déportés se sont assignés au retour des camps de concentration. Mon père disait que « le devoir de mémoire est faitpour ne pas oublier tous ceux qui se sont sacrifiés pour défendre ces valeurs [humanisme, respect des autres et réconciliation], c’est prévenir, dénoncer et condamner les atteintes à la dignité ».
Quelle influence l’histoire de votre famille a-t-elle sur la personne que vous êtes aujourd’hui ?
Probablement importante !
Quand votre père est un modèle, un héros, quand vous savez tout ce qu’il a enduré et vécu, vous vous devez d’être digne de lui, de porter et de défendre les mêmes valeurs.
Cela a un impact sur votre ligne de conduite, sur vos rapports aux autres au quotidien : le respect de l’autre et de sa dignité sont non négociables !
Et c’est aussi ce que je cherche à transmettre à mes enfants.
Par ailleurs, en tant que fille de déporté, j’ai également compris que j’aurais un rôle à jouer dans le travail de mémoire. Et qu’il en sera de même pour mes enfants.
Je sais que ce travail de mémoire fera à jamais partie de ma vie et de mes engagements.
Quels éléments de votre histoire familiale et de vos valeurs allez-vous transmettre à la (aux) génération(s) suivante(s) ?
Mes enfants ont eu la chance de bien connaître leur grand-père et d’assister très tôt à des rassemblements entre déportés et à des commémorations. Ils ont également participé à un pèlerinage avec leur grand-père.
Ils connaissent donc son histoire; ils ont lu son témoignage, ses discours. Ils l’ont entendu raconter, ils l’ont vu ne plus pouvoir parler, submergé par l’émotion en racontant son arrivée au mouroir de Sandbostel lors « des marches de la mort ». Ils ont connu certains de ses camarades déportés.
Leur histoire familiale et leur éducation ont permis de :
- promouvoir la cause Humaniste si chère à mon père et à tous ses camarades
- inculquer le respect des autres et l’ouverture aux autres, comme principes clés des rapports humains
- Leur faire comprendre la nécessité absolue de lutter contre l’oubli et du devoir de mémoire : ils sont et seront à l’avenir les passeurs de l’histoire dans l’univers concentrationnaire

© Pascale Evans

Comment en êtes-vous venu à vous impliquer dans l’association nationale ? Qu’est-ce que votre engagement signifie pour vous ?
Comment passer outre cette tragédie que ses camarades et lui-même ont vécue ? Comment aller à l’encontre de sa volonté et de celle de ses camarades ?
Ce passage de l’un des discours de mon père exprime sa volonté et donc l’essence de mon engagement: «Je souhaite que les enfants, les petits enfants, les arrière-petits enfants des victimes et ceux de nos anciens bourreaux soient unis dans le même combat contre la barbarie. C’est ce que nous appelons nous autres déportés, le TRAVAIL DE MEMOIRE. Ce DEVOIR de MEMOIRE est fait pour ne pas oublier tous ceux qui se sont sacrifiés pour défendre ces valeurs, c’est prévenir, dénoncer et condamner les atteintes à la dignité».
Je souhaite que les morts continuent d’instruire les vivants. Que nous autres survivants des camps, qui nous éteignons au fil du temps, insufflent à tous les hommes d’aujourd’hui et à ceux de demain et pour toujours cet indispensable devoir de mémoire».
Maintenant que mon père n’est plus là, je suis en première ligne et actrice à part entière dans le travail de mémoire.
Ne pas s’impliquer, ne pas s’engager, serait le(s) trahir.

