Enfants de résistants et de nazis témoignent pour lutter contre l’oubli et la résurgence des spectres de la Seconde Guerre Mondiale.
Ce qui aurait dû les séparer les a rapprochés. Partageant les mêmes valeurs, des enfants de résistants morts en déportation et des enfants d’officiers SS racontent leur parcours douloureusement marqué par le rôle de leur père dans un des conflits les plus noirs de l’humanité.
Pour Barbara Brix et Ulrich Gantz la découverte tardive que le père aimant et aimé était un criminel nazi fut un choc. Yvonne Cossu et Jean-Michel Gaussot ne se sont jamais remis de la perte du leur, qu’ils n’auront pas ou peu connu, des héros de la résistance morts en camp de concentration. Leurs témoignages poignants sur un héritage familial glorieux ou maudit avec lequel il a fallu composer et leurs réflexions lucides sont un rappel nécessaire de notre passé et un avertissement au moment où notre présent, avec la réapparition des totalitarismes et de la xénophobie, semble au bord du dérapage.
Ulrich Gantz
Ulrich Gantz jusqu’à la mort de son père savait peu de chose sur les antécédents de celui-ci, si ce n’est que, membre de la police, il avait été envoyé en Norvège et en Russie pour surveiller les frontières. Le jour de son enterrement en 2002, le contenu de deux sacs en plastique déposés sur la table de la cuisine a révélé la sinistre vérité. Il s’agissait de documents de justice qui accusaient son père d’avoir fait partie de l’Einsatzgruppe B, l’un des commandos d’extermination du Reich, et d’être responsable en 1941 de massacres en Biélorussie. Cependant, faute de preuves, le dossier avait été classé sans suites. Ulrich qui s’était opposé à la demande de son frère de tout brûler et avait promis de garder le secret, estima par la suite que son obligation morale prévalait sur la parole donnée et qu’il devait témoigner. Ce n’était pas uniquement aux persécutés et à leur famille de le faire. En prenant contact avec le mémorial du camp de Neuengamme et en choisissant de parler, il rompait sa promesse et rompait ainsi le contact avec son frère.
Barbara Brix
Barbara Brix a mis également du temps avant de savoir qui était vraiment son père, un médecin amputé des deux jambes. Elle croyait qu’il avait été mobilisé sur le front pour s’occuper des blessés et ne l’avait jamais interrogé, pas même pour connaitre les causes de son amputation. C’est à l’approche de la retraite que Barbara a commencé à se poser des questions, un historien ayant laissé entendre au cours d’une discussion que les activités de son père durant la guerre avaient été tout autres. Les recherches qu’elle effectua alors lui apprirent que celui-ci avait appartenu à l’Einsatzgruppe C et participé à des missionsd’extermination. Elle avait aimé ce père, personnage-clef de sa jeunesse, qui l’avait formée intellectuellement. Comment faire cohabiter cette belle image avec celle de « l’autre », du nazi impliqué dans les pires crimes, comment y faire face et affronter la mauvaise conscience ? Elle choisit de partager publiquement son histoire et commença de se rendre dans des collèges et des lycées pour expliquer l’inconcevable et mettre en garde les jeunes générations.
Yvonne Cossu
Yvonne Cossu est la fille de Robert Alba, chef de la Résistance dans la péninsule de Crozon en Bretagne. Yvonne, petite fille de 8 ans, était au courant des activités de son père mais savait qu’elle ne devait pas en parler. En 1943 quand l’inspecteur est venu prévenir que son père avait été arrêté, elle ignorait qu’elle ne le reverrait plus. Déporté à Neuengamme, il figurait pourtant sur une liste de ceux qui devaient rentrer et son retour était attendu avec impatience. Mais il mourut de faim et d’épuisement dans un Stalag transformé en lieu d’évacuation / mouroir, la veille de sa libération, et son corps fut jeté dans une fosse commune. Le souvenir de ce père n’a jamais quitté Yvonne et elle lui dédiera un livre « Aller sans retour pour un camp nazi ». Les années de guerre, la peur constante, l’arrestation ont laissé des traces profondes et elle a longtemps détesté tout ce qui était allemand : les gens, la langue, le pays, ne faisant pas la différence entre allemand et nazi. Ce n’est qu’au bout de 50 ans qu’elle accepta finalement de se rendre à Neuengamme.
Jean-Michel Gaussot
Jean-Michel Gaussot n’était pas encore né quand son père résistant à Paris fut arrêté en mars 1944 et déporté à Neuengamme par le premier convoi parti pour ce camp, le 21 mai 1944. Il mourut lui aussi, après de terribles épreuves, dans un camp annexe également transformé en mouroir, peu de temps avant l’arrivée des troupes américaines libératrices. Jean-Michel n’a jamais cessé de penser à lui et, enfant puis adolescent, l’a idéalisé en redoutant toujours de ne pas être digne de lui. Des lettres de codétenus, retrouvées dans les dossiers de sa mère après le décès de celle-ci, lui ont permis de retracer le destin de son père en écrivant le livre « Ode au grand absent qui ne m’a jamais quitté » et de lui rendre ainsi l’hommage qu’il souhaitait lui adresser depuis longtemps.
La rencontre des membres de ce quatuor insolite eut lieu en 2014 au mémorial du camp de Neuengamme et fut le point de départ de leurs liens amicaux. Ulrich Gantz et Barbara Brix avaient pris la parole devant une assemblée d’anciens déportés et de familles de déportés et appréhendaient leur réaction. Ce fut un soulagement lorsque Jean-Michel Gaussot se leva pour dire « qu’il comprenait combien était lourd le fardeau des descendants de persécuteurs mais qu’être un fils de héros ne faisait pas de lui un héros et, qu’à l’inverse, être fils ou fille de criminels n’en faisaient pas des criminels. »
Leur engagement commun et leurs voix unies afin de perpétuer la mémoire et de dénoncer la discrimination sous toutes ses formes sont un formidable message de réconciliation et de tolérance.
Pour conclure cet échange passionnant, une étudiante chilienne présenta un projet de réconciliation, démarré récemment au Chili, par des enfants de victimes et de tortionnaires. Nous pouvons souhaiter que de nombreuses initiatives similaires pour un mieux vivre ensemble et un avenir pacifié voient le jour.
Réactions de l’auditoire
Marie-Christine
[…] Les témoignages de Barbara et d’Ulrich sont particulièrement émouvants : moins travaillés que des textes, plus directs, ils demandent sans doute un engagement personnel difficile qui force le respect. De plus, votre travail pédagogique de Mémoire à Quatre Voix est remarquable. En tout cas, bravo à tous les responsables de ton association.
Moi aussi, je recommande « Récidive – 1938 » de Michaël Foessel : il ne prétend pas que nous sommes en train de revivre les années 30, il montre, par l’exemple, l’empoisonnement d’une société par une idéologie de la haine et d’un orgueilleux repli sur soi. Sur ce point, il y a matière à réflexion aujourd’hui.
Odile
Merci encore de nous avoir invités à cet émouvant et bel échange entre vous quatre. Nous avons passé la soirée, avec l’amie qui nous avait accompagnés, à commenter vos témoignages et à poursuivre les réflexions engagées hier par vous et par les questions de l’assistance. Il y avait matière …
Diana
C’était un moment de partage très intense hier : merci de m’avoir invitée. J’ai été extrêmement émue quand Ulrich a dit qu’il pouvait uniquement dialoguer avec vous en se reconnaissant réellement sur la même fréquence. Très fort ! Continuez car ce que vous transmettez fait résonner ce qu’il y a de plus important en chacun de nous. Merci à vous quatre !
Agnès
La conférence d’hier soir « Mémoire à quatre voix » a été un très haut moment d’humanité et d’émotion. Merci de l’avoir rendue possible.
L’article de Françoise Plaza Carlström a été publié dans N’oublions jamais n° 245 (janvier 2020).